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Le nouveau pacte européen sur la migration et sur l'asile: Un sentiment de déjà-vu

Dernière mise à jour : 20 oct. 2020

Article écrit par Nicolas Avci

Le récent incendie dans le camp de Moria, sur l’île grecque de Lesbos, qui a mis à la rue du jour au lendemain 8000 adultes et 4000 enfants, a (re)mis à l’ordre du jour la nécessité urgente de réformer le système migratoire européen et d’en finir avec la rétention des personnes migrantes.


Le mercredi 23 septembre, une semaine après son discours sur l’état de l’Union, dans lequel elle promettait notamment d’ « abolir » le Règlement de Dublin, Ursula Von der Leyen a enfin présenté le nouveau Pacte européen sur la migration et sur l’asile. Malheureusement, malgré quelques maigres avancées, ce nouveau Pacte migratoire s’annonce dores et déjà comme une occasion manquée pour l’Union de changer radicalement les choses et de s’orienter vers une réelle justice migratoire. Nous le verrons, ce nouveau Pacte poursuit une approche toujours plus restrictive des migrations et semble céder face aux revendications des gouvernements les plus nationalistes d’Europe.


i. La fausse promesse d’abolition de Dublin


L’unique consensus parmi les Etats membres était la nécessité d’abolir le Règlement de Dublin, qui a prouvé depuis la crise migratoire de 2015 ses limites et son inefficacité. Adopté en 2003 et réformé à trois reprises, le Règlement de Dublin constitue la pierre angulaire du système migratoire européen. Il permet de désigner un seul Etat responsable d’une demande d’asile avec un principe innovant sur papier : une série de critères hiérarchiques afin de déterminer cet Etat. Souvent, le pays responsable de la demande d’asile sera celui dans lequel le migrant fait son entrée sur le territoire. Seulement, en pratique, ce système fait peser toute la charge migratoire sur pays au Sud de l’Europe (Italie, Grèce, Malte). La conséquence est désormais connue, un entassement de femmes, d’hommes et d’enfants dans des camps surpeuplés, aux conditions inhumaines et dégradantes (de la Cour de Justice de l'Union: affaire H.H. c. Grèce; N.S;. et, de la Cour européenne des droits de l'Homme: MSS c. Belgique et Grèce; H.A. et autres c. Grèce). D’autre part, ce système a mis en avant le manque de solidarité des autres Etats membres pour accueillir les personnes migrantes. Le dernier exemple nous vient de Maggie De Block, l’ancienne ministre belge de l’Asile et de la Migration, qui a d’abord proposé d’accueillir 12 mineurs non accompagnés après la destruction du camp de Moria. Face à la polémique, la Belgique accueillera finalement entre 100 et 150 personnes.


Par conséquent, après l’annonce de la Présidente de la Commission d’en finir avec ce Règlement de Dublin, l’espoir des ONG et du milieu académique était grand. Cependant, mise à part le changement de nom, ce nouveau système n’est pas un changement de cap, mais bien la poursuite d’une mauvaise direction. Le fameux critère décrié du « premier pays responsable » reste d’application et les autres critères sont simplement élargis. D’autres s’y ajoutent, comme par exemple l’obtention d’un diplôme dans un autre Etat membre.



Source: voanews.com

ii. Le Pacte en substance


Le commissaire Margaritis Schinas a comparé le nouveau Pacte sur la migration et l’asile à une maison composée de trois étages. Premièrement, un renouvellement des partenariats avec les Etats d’origine et de transit. Deuxièmement, des procédures plus efficaces aux frontières et enfin, un principe de solidarité obligatoire, mais à la carte.


Tout d’abord, le premier étage n’a rien d’innovant et la proposition de l’Union de renouveler les partenariats avec les Etats d’origine et de transit est une méthode utilisée depuis nombreuses années. Par ailleurs, cette stratégie a démontré ses limites et de l’aveu de la Commission elle-même, à peine un tiers des personnes migrantes dont la demande d’asile a été rejetée sont effectivement renvoyés dans leur pays d’origine. En effet, ces pays d’origine, irrités par la diplomatie européenne et l’accent mis sur l’externalisation du contrôle des migrations, refusent de collaborer aux procédures de réadmissions. Cependant, ce ne sont pas ces échecs des partenariats avec les pays voisins qui posent question, mais bel et bien les partenariats réussis. Au cours des dernières années, l’Union a montré que tant qu’un Etats tiers était disposé et capable de contrôler les flux migratoires vers le territoire européen, celle-ci était prête à conclure un accord de coopération. En ce compris, peu importe que cet Etat a déjà été condamné plusieurs fois pour violation des droits de l’Homme, ou que ce pays est en pleine guerre civile depuis 2014. L’exemple récent est l’accord conclu avec la Libye. En 2018, les gardes côtes libyens, avec le soutien de l’Europe et plus particulièrement de l’Italie, ont intercepté 13 000 migrants tentant de rejoindre le territoire européen. En plus de fournir des moyens de surveillance, l’Italie forme les gardes côtes libyens et finance ces opérations. Le sort de ces migrants dans les camps de détention libyens est connue de tous ; actes de torture, extorsions, viols et violations systématique du droit international. La volonté de la Commission de renouveler ces partenariats posent question et placeraient l’Union dans une situation de dépendance politique vis-à-vis de gouvernements fragiles.


Le deuxième étage de notre maison concerne les personnes migrantes qui réussiraient à atteindre les côtes européennes, malgré tous les obstacles dans les pays d’origine et de transit. Là encore, l’Union persiste dans son approche répressive et centrée sur les retours. Pourtant, alors que 140 000 personnes sont arrivées sur le territoire européen en 2019 contre 1,5 million en 2015, il était peut être temps de rechercher des solutions durables. La Commission propose une révision de la procédure d’enregistrement des demandes d’asile aux frontières afin d’accélérer la procédure et d’éviter in fine le surpeuplement aux frontières. Cyniquement, la Commission propose que le traitement de ces demandes d’asile soit effectué dans des nouveaux « centres d’accueil » situés aux frontières extérieures. Quelques semaines après l’incendie de Moria, on peut déjà apercevoir au loin les futurs camps de réfugiés toujours aussi surpeuplés et insalubres.

La nouvelle procédure prévoit une phase de présélection, dans un délai de cinq jours suivant l’arrivée des personnes migrantes, afin de les répartir en deux catégories. D’une part, les migrants dont la nationalité représenterait moins de 20% du taux de protection dans l’UE seraient dirigés vers une procédure accélérée. D’autre part, les autres suivraient la procédure classique du traitement de leur demande d’asile. Dans la pratique, cette procédure expresse aurait des conséquences dramatiques pour les migrants, aucun recours juridique contre cette décision de présélection n’étant prévu. Le droit d’asile est un droit fondamental reconnu à toute personne, indistinctement de la nationalité ou du taux de protection, et il ne fait aucun doute que cette procédure express semble en violation de la Convention de Genève et de la C.E.D.H.


La troisième partie du Pacte met en place un système de solidarité obligatoire afin d’alléger la charge migratoire qui pèse sur les Etats du sud et de répartir équitablement les responsabilités en matière d’accueil des réfugiés. Si l’idée d’instaurer une solidarité obligatoire est louable, la Commission donne encore une fois raison aux Etats anti-migrants de Visegrad (Hongrie, République Tchèque, Pologne et Slovaquie). En effet, cette solidarité est un réalité un mécanisme de « solidarité obligatoire flexible » et peut donc prendre différentes formes. Les Etats auront le choix de soit accueillir les nouveaux migrants, soit d’offrir une aide financière, ou soit de « parrainer » leur retour. Il est plus qu’envisageable que beaucoup de pays optent pour cette dernière possibilité, laissant encore les Etats au sud de l’Europe livrés à eux-mêmes, toujours au détriment du droit des migrants.


iii. Conclusion


En conclusion, l’élaboration de ce nouveau Pacte migratoire européen s’est faite sous l’ombre d’un potentiel rejet des pays les plus opposés à un véritable programme solidaire d’accueil des migrants. La Commission persiste et signe dans son approche répressive, alors que le nombre d’arrivées sur le territoire a fortement diminué. La stratégie européenne qui consiste à empêcher les arrivées, limiter l’accueil par une présélection et augmenter les retours, n’offre aucune solution durable. La promesse d’abolir le Règlement de Dublin, inefficace et injuste, n’a pas été tenue et les critères pour désigner l’Etat responsable de la demande d’asile demeurent. On peut également regretter le fait que la Commission repousse à 2021 les propositions sur les voies d’accès légales à l’Europe, quand on dénombre plus de 20 000 décès en Méditerranée depuis 2014.

Toutefois, tout n’est pas à jeter et la Commission reconnait le secours en mer des ONG et des citoyens comme une action humanitaire qui ne doit pas être criminalisée.

En vue de son adoption au sein du parlement et conseil européen, prévue en 2022 par la Commission, on ne peut qu’espérer que les Etats membres rectifieront le travail de la Commission vers plus de solutions durables et dans un sens plus respectueux des personnes migrantes.

 

Sources:


Sites d'information:

B. Gaillard, « Que contient le Pacte européen sur la migration et sur l’asile », toutelEurope.eu, 24 septembre 2020, https://www.touteleurope.eu/actualite/que-contient-le-pacte-europeen-sur-la-migration-et-l-asile.html.


Caritas International, « Un nouveau pacte migratoire européen, attentes et déceptions », caritasinternational.be, 1 octobre 2020, https://www.caritasinternational.be/fr/urgence-et-developpement/europe/un-nouveau-pacte-migratoire-europeen-attentes-et-deceptions/.


J. Blommaert, « Le nouveau pacte européen sur la migration et l’asile », cire.be, 1 octobre 2020, https://www.cire.be/publication/le-nouveau-pacte-europeen-sur-la-migration-et-lasile/.


V. Georis, « L’abolition du règlement de Dublin sur les migrations est loin d’être acquise », lecho.be, 19 septembre 2020, https://www.lecho.be/economie-politique/europe/general/l-abolition-du-reglement-de-dublin-sur-les-migrations-est-loin-d-etre-acquise/10252491.html.


X., « Le pacte européen sur l’asile et la migration ne tire aucune leçon de la crise migratoire », cncd.be, 24 septembre 2020, https://www.cncd.be/Le-pacte-europeen-sur-l-asile-et.


M. Deleixhe, « Le nouveau Pacte sur la migration et sur l’asile. Une première analyse critique », etopia.be, 29 septembre 2020, https://etopia.be/le-nouveau-pacte-sur-la-migration-et-lasile-une-premiere-analyse-critique/.


C. Filoni, « Les odieux accords de l’UE en matière de migration: le cas de la Turquie et de la Libye », asile.ch, 6 février 2020, https://asile.ch/2020/02/06/cadtm-les-odieux-accords-de-lue-en-matiere-de-migration-le-cas-de-la-turquie-et-de-la-libye/.

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