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La justice transitionnelle : Voie de réconciliation et de paix durable?

Article écrit par Virginie de France


Depuis ces trente dernières années, on assiste à une recrudescence des conflits armés. Cependant, des progrès spectaculaires ont été réalisés dans de nombreuses parties du monde afin de mettre un terme aux régimes violents et de faire triompher les grands idéaux de la démocratie. Après des violations massives des droits de l’Homme - qu’il s’agisse de massacres, de crimes de guerres ou de génocides - la demande de justice se fait systématiquement dans un contexte difficile. « Conformément à ces principes, la justice transitionnelle constitue ainsi l'une des toutes premières priorités de l'UE lorsqu'elle intervient dans des situations de violations flagrantes des droits de l'homme et de graves violations du droit international humanitaire et du droit pénal international » (Conseil des affaires étrangères, 2015).


Credits to Josua Di Maggio

La justice transitionnelle, caractéristique de la seconde moitié du XXème siècle, est un rouage essentiel au fonctionnement de notre société mondialisée. Petit à petit, plusieurs pays ayant longtemps vécu sous un régime autoritaire s’apprêtent à adhérer à l’idéal des Temps modernes : la démocratie. Cependant, des sociétés émergeant de régimes oppressifs ou de conflits violents ont souvent du mal à se redresser, à bâtir un meilleur avenir et à éviter de tomber dans le piège du conflit. Ces Etats se retrouvent alors face à un dilemme de taille. D’une part, les auteurs de ces crimes mettent tous leurs espoirs dans le pardon et l’indulgence. D’autre part, les victimes et survivants ressentent un besoin fort de Justice. En outre, ces pays meurtris ont besoin de paix et de stabilité. Pour cela, un équilibre doit être trouvé entre le pardon et la justice. Dans ce cadre, il est nécessaire qu’une multitude de composantes soient alors prises en compte pour éviter que, enfin ressortis de cette sombre période, ils n’y retombent pas. Limiter les frustrations et le désespoir des victimes, tout en faisant toute la vérité sur les faits du passé : voilà les enjeux devant lesquels se trouvent les pays qui tentent de retrouver leur équilibre.

La démocratie, dont les piliers majeurs sont les idéaux de liberté, de transparence des règles de droit, de respect de chacun, a tendance à être perçue comme l’aboutissement quasi naturel, le telos, des transitions politiques. Néanmoins, atteindre ces idéaux est loin d’être aisé. En effet, le processus de démocratisation est complexe et chronophage. A cet égard, nous pouvons rappeler certains exemples d’une transition manquée : la Russie post-soviétique, l’Irak post-Saddam ou l’Inde post-impériale. Chacun de ces exemples permet d’appuyer l’hypothèse selon laquelle la démocratie ne s’établit pas par enchantement mais demande de la patience et de la persévérance. On parlera dès lors de période de transition.

Les philosophes ont longtemps discuté des différents types de régimes existants mais n’ont jamais (ou du moins très peu) réfléchi à la question des sociétés en transition. Cette absence est troublante surtout lorsqu’on se rend compte de l’importance de cette réflexion : « selon le programme de développement des Nations Unies, un Etat sortant d’un conflit a plus de 40% de chances de connaitre à nouveau la violence dans les cinq années qui suivent l’accord formel de paix. Par ailleurs, 70% des crises actuelles ont lieu au sein d’un Etat « faible », où les institutions et la règle de droit sont fragiles » (Andrieu, 2013). On peut par conséquent affirmer que la construction d’une paix forte et durable suite à une période de violence est une tâche particulièrement difficile.

Ainsi, comment construire un Etat de droit après des crimes qui ont éradiqué l’idée même de la justice et d’humanité ? C’est à cette question que répond la justice transitionnelle.


L’expression justice transitionnelle a tendance à faire croire, à tort, que c’est la justice qui est en transition et non l’Etat lui-même. Il s’agirait alors d’une forme temporaire et exceptionnelle du Juste, alors qu’il s’agit plutôt de la justice appliquée au contexte particulier des transitions démocratiques.


Cette dernière est justement « cet ensemble des mécanismes censés favoriser ce passage vers la démocratie » (Andrieu, 2013). Elle se base sur la conviction que l’établissement d’institutions démocratiques n’est pas suffisant. En corollaire, elle affirme qu’en promouvant certains droits (articulés autour des droits de la victime), on va pouvoir renforcer le processus de démocratisation et de pacification. Il faut donc promouvoir une certaine ‘culture’ de la démocratie qui renforce les aspects plus formels de ce régime.

Pendant longtemps, les nations se sont construites sur l’oubli. Selon Renan (1865), il s’agit d’une technique de survie. Mais cela a changé : le nouveau système de justice se fonde sur la croyance qu’il faut être en paix avec son passé pour avancer vers l’avenir. On le remarque notamment dans le contexte des révolutions arabes où une demande de confrontation au passé a très tôt émergée. L’idée selon laquelle l’humanité ne saurait faire face à l’avenir sans connaitre la vérité sur le passé, en mettant des barrières de lois d’amnisties ou en créant des fossés d’impunité occupe beaucoup les esprits. C’est ainsi que David Tolbert (2010), directeur de l’International Center For Transitional Justice, considère « qu’au regard des bouleversements connus dans le monde arabe, révéler les faits sur les violations passées, poursuivre les coupables et offrir des réparations aux victimes sera essentiel pour permettre aux citoyens de regagner foi dans leurs institutions et confiance dans leur nouveau gouvernement » (Andrieu, 2013).


La justice transitionnelle appliquée à un pays n’est pas du « prêt-à-porter » mais « du fait sur mesure »

Finalement, comment la justice transitionnelle pourrait-elle se définir ? Selon Turgis (2014), celle-ci peut être comprise comme étant « l’ensemble des mesures auxquelles un État en transition a recours pour affronter les violations massives et/ou systématiques des droits de l’Homme ayant eu lieu avant la transition, afin de promouvoir la transformation de la société, faciliter la réconciliation et favoriser l’établissement de l’État de droit et de la démocratie ».

Toute la difficulté de la justice transitionnelle se trouve dans le fait qu’elle ne représente pas un modèle universel de gestion d’un Etat en transition. La justice transitionnelle appliquée à un pays n’est pas du « prêt-à-porter » mais « du fait sur mesure ». Entre le tribunal international pour l’ex-Yougoslavie, le mato oput ougandais, les prémices argentins et chiliens, la Commission Vérité Réconciliation sud-africaine, ou les gucaca rwandaises, il y a très peu de dénominateurs communs. « La justice transitionnelle est une conception très plurielle du Juste, qui fait appel à de multiples formules » (Andrieu, 2013). Néanmoins, l’idée directrice reste la même, à savoir : affronter le passé pour aller vers un meilleur avenir. Il serait alors plus réaliste, mais surtout plus juste de dire « la justice transitionnelle de l’Afrique du Sud est… », « le modèle de transition de l’Espagne fut… », etc.

Or, il existe trois traits distinctifs qui permettent d’affirmer que la justice transitionnelle est une discipline à part entière. Premièrement, il s’agit de l’attention accordée aux victimes, principales bénéficiaires de cette justice transitionnelle. Deuxièmement, il convient d’aborder l’héritage des abus par une approche intégrale. La justice transitionnelle n’a pas pour seul objectif de dénoncer les vrais coupables mais également de rétablir la relation entre les différents protagonistes et d’empêcher de violations futures des droits de l’Homme. Dernièrement, la justice transitionnelle s’efforce de respecter l’équilibre des intérêts en jeu dans le pays concerné. Ce nouveau mode de justice ne plaide pas pour une justice rétroactive à tout prix, mais tente de trouver un équilibre entre les besoins de paix, de démocratie, d’un développement équitable et de droit souverain.

En conclusion, la justice transitionnelle est une véritable discipline à part entière du droit dont Freeman (2000) considère qu’elle poursuit six buts fondamentaux : la responsabilité, la vérité, la réconciliation sociale, la reconnaissance des victimes, les compensations pour les victimes et la réforme institutionnelle. En énumérant ainsi ses finalités, Freeman souligne les aspects symboliques et discursifs qui caractérisent la justice transitionnelle. Comme nous l’avons évoqué, la mise en œuvre de la justice transitionnelle dépend d’une situation à l’autre : il y a une volonté de tenir compte des spécificités culturelles et politiques locales pour une efficacité optimale des systèmes mis en place. Il s’agit de reconnaitre que les évènements tragiques subis par certaines populations se doivent de dépasser leurs aspects juridiques. Outre l’illégalité de certains actes, certaines victimes ont besoin de connaitre le passé et d’en discuter pour aller de l’avant et faire leurs deuils.

 

Bibliographie

ANDRIEU (K.), La justice transitionnelle, Iphilo, 2 mars 2013.

ANDRIEU (K.), La justice transitionnelle : de l’Afrique du Sud au Rwanda, Edition Gallimard, 2013, pp.21.

CONSEIL DES AFFAIRES ETRANGERES, conclusions du conseil sur le soutien de l’UE à la justice transitionnelle, Bruxelles, 16 novembre 2015.

SURHKE (A.), What’s in a figure? estimating recurrence of civil wars, International Peacekeeping, vol 12, n°2, 2007, pp 95-203.

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